Lors de notre premier jour à Bangalore, nous avons fait un tour au marché, gigantesque entrelac de ruelles étroites, où se croisent et se frôlent portefaix, bagnoles, commerçants affairés. C'était la fin de l'après midi, vers 17h30 peut etre plus, les boutiques commençaient à fermer et le ciel à sombrer. La bonne heure pour siroter un masala tchai, thé au lait corsé d'épices, -poivre, cardamome, cannelle, etc-, aussi délicieux que remontant quand il est bien fait. Devant un tea stall, un homme nous a interpellé. On a dit oui pour deux thés. C'est alors que nous avons assisté à une mini-scène que je ne suis pas prète d'oublier.
Le teaman devant sa marmite, un client et à droite, le caissier…
Celui qui nous avait proposé les thés, le caissier, probablement le patron, a fourni un peu de pétrole pour alimenter les fourneaux et le "teaman" s'est mis à fabriquer le meilleur masala tea que je boirais jamais. Il a d'abord vidé le récipient en fer blanc du reste de la décoction précédente, sans l'essuyer. Il a mis du lait à bouillir à grand feu, l'a laissé réduire en frottant les parois de la marmite avec le dos d'une petite casserole pour incorporer les éléments caramélisés, il a mélangé, remélangé, ajouté thé, sucre, épices en poudre, a maintenu une ébullition fracassante pendant deux minutes au moins, a goûté puis rectifié ses dosages. Il a filtré avec une chaussette, ocre de tous les thés précédents, a refroidi sa préparation en la versant d'une casserole à l'autre et l'a servie dans des gobelets de plastique… 4 roupies le verre (moins de dix centimes d'euro). Du grand art, avec rien ou presque.
Le teaman en action
Par ici la monnaie, ce n'est pas lui qui a encaissé, mais son patron… Le marché ouvre à six heures du matin, et je suis persuadée que depuis l'aurore, cet homme transpirait devant un feu d'enfer à confectionner ce merveilleux thé sans prendre de répit, sous l'œil serré de son maître;… On lui a souri, mais on le sentait si fatigué, vidé de sa substance, la peau noircie par le pétrole, qu'il n'avait plus la force de rien… sauf de concocter ce breuvage qui lui brûlait la santé au jour le jour.
Bonjour venezia,je découvre ton blog suite à ton commentaire, et quelle surprise ! J'ai vécu un petit bout de temps à Bangalore et cette ville me manque ! Je vais essayé d'y passer cet été quand je serai en Inde. Je m'en vais de ce pas explorer un peu plus ton si joli blog. A bientôt !
Malgré ou à cause de l'agitation ambiante, j'aime bien Bangalore. Si tu as un peu de temps et de patience, du trouveras sur ce blog une série d'articles sur l'Inde rédigés l'an dernier… car l'Inde, j'ai du mal à m'en passer… surtout du sud.
M
michele
26/02/2008 18:03
J'allais dire comme mlk qu'il y a aussi de ces regards dans Paris mais je trouve qu'ils sont plus souvent associés à la détresse psychique.Tu nous a habitués à des regards plus gais sur l'Inde.Bises
Comme c'était le premier jour de mon arrivée en Inde, ça a fait tilt…
M
mlk
26/02/2008 11:05
Je parlais de Lumpen prolétariat,que nous avons ici en FranceJ'habite vers la Gare du Nord et un jour ma fille agée à l'époque de 7ans....m'a attrapé la main en pleurs...en me disant ,"vite on s'en va"Pourquoi....Réponse/ le monsieur il a des yeux de pauvre...et j'ai senti son coeur chavirer
je sais qu'il y a des détresses aussi grandes en france… J'ai appelé cet article karma, car j'ai ressenti profondement la dureté de la répétition en boucle de ses gestes à la chaleur torride de son feu… sous l'œil omniprésent de son patron. une vision d'un esclavage économique au quotidien.
B
Blue
25/02/2008 00:02
J'ai rarement vu une image d'un Indien triste... Il a perdu son sourire... Blue
Et si on imagine qu'il fait ce thé tous les jours du matin au soir… on en perd aussi le sourire
A
Akä
24/02/2008 20:29
je visite ton blog depuis longtemps mais cette fois je prends le temps de te remercier... Ce billet me fait penser au voyage d'étude de ma soeur au Cambodge, riche de découvertes mais aussi de violence et de misère... dont nous sommes éloignés, bien trop, abreuvés de belles vitrines qui masquent la réalité de vies qui pourraient être les nôtres...
j'ai vu ce dimanche un effroyable (mais passionnant) reportage sur de jeunes prostituées khmers (sur la chaine du cable Public)dont je cherche depuis le nom de l'auteur, très talentueux.
Les humains vivent dans des planètes très distantes les unes des autres, et quelque fois, une passerelle ténue est jetée entre 2 de ces mondes qui s'aperçoivent alors simultanément de leurs incroyables diffférences et de leurs évidentes ressemblances et ce va et vient donne aussi le vertige.
merci Jasmeroli, tu as très bien exprimé ce vertige ressenti devant une telle inégalité des chances…
M
mlk
24/02/2008 16:41
grandeur et misère du lumpen prolétariatou grandeur et misère de ce système de castes impitoyables?vidé de sa moelle, tu le dis bien....vos sourires et ton mot nous le ramène un peu à la vie