Unaide commence par peindre le buste et le visage du danseur
Dans le nord du Kérala, notamment dans la région de Kannur, se déroulent très régulièrement d'incroyables cérémonies hindouistes, mais d'inspiration chamanique: les teyyam. (Teyyam signifie Dieu en malayalam, la langue du Kérala). Ces fêtes encore très peu touristiques se déroulent dans des temples publics ou privés, il existe près de 400 lieux de culte. Des danseurs revétus de costumes spectaculaires et très codifiés incarnent des divinités locales (arbres, animaux, personnages) ou non et mettent en scène des récits héroïques. Par exemple, un sage sanscrit rencontre le dieu Shiva qui se présente à lui en intouchable et il ne le reconnait pas… il devra lui demander pardon. Il y a aussi l'histoire tragique d'une jeune femme qui avait douze frères. Ses belles sœurs jalouses excitèrent leurs maris jusqu'à ce qu'ils la tuent avec des deux enfants… elle fut déifiée.
Peinture à main levée à l'aide d'un brin de fibre fraîche de coco
Jupe plissée main… et sur place. En second plan, débris de fibres de coco
Un autre aide vient d'achever une jupe en fibres de coco fraîches patiemment effilées
Après des heures de préparation, où ils sont longuements maquillés et minutieusement vétus par des aides, le tout en public, les "acteurs" commencent à danser au rythme de percussions et théoriquement, entrent peu à peu en transe. Ils deviennent alors -comme dans le candomblé brésilien- le dieu lui même qui va répondre, par leur bouche, aux questions posées par les fidèles.
Dans une inversion des codes sociaux, ces hommes -souvent de basse caste- se font bénir par les brahmanes… avant de les bénir eux mêmes, puisqu'à ce moment, ils sont l'autorité divine. Un pratiquant de teyyam peut, selon les occasions, incarner des dieux différents.
Encore des serpents… nous sommes en Inde. A la main gauche, un sceptre végétal (fibres de coco)
Les cérémonies durent parfois plusieurs jours sans interruption. Celle à laquelle j'ai pu assister en était à son troisième jour. Nous sommes restés de 4 heures à 10 heures du matin, fascinés par la métamorphose progressive et profonde des danseurs du teyyam, et l'ambiance prenante mais décontractée. Il y avait plein de gosses, des couples qui venaient se faire bénir, recevoir des offrandes, poudres de couleur, riz, etc… après avoir glissé un billet, et on pouvait même s'attabler à une buvette.
Les petites lunettes d'argent sont juste trouées en leur milieu
Pour faciliter leur transformation spirituelle, les danseurs portent des petites lunettes en argent juste percées au niveau de la pupille. Ce qui m'a fascinée c'est de voir comment chaque personnage endossait peu à peu son rôle lors de sa méticuleuse et lente transformation. De nombreux éléments des costumes sont confectionnés sur place. Chaque aide intervient, si je puis dire, à main levée, que ce soit pour dessiner et peindre le corps ou le visage (théoriquement avec des pigments végétaux), confectionner une jupe en fibres fraîches de coco (matériau omniprésent), plisser un tissu en jupe, décorer des armatures de bois léger de papier ou de feuilles de métal jusqu'à en faire les plus somptueux couvre-chef. Ce qui envoute aussi, ce sont les rythmes du teyyam scandés par des tambours et un joueur de flûte: chaque divinité a les siens.
Le personnage tournoie en dansant avec une jupe coincée au niveau des épaules.
Alors que j'avais emporté comme livre de voyage un texte passionnant sur le yoga d'Eric Baret, j'ai découvert à mon retour qu'il avait aussi assisté à des teyyam… et qu'il en parlait très bien. J'indique donc le lienici.
Wau Venezia c'est superbe, ces couleurs, et les costumes sont très raffinés, c'est fascinant de savoir qu'ils sont faits sur place le jour même. Je suis abasourdie par ton récit...
La virtuosité de ceux qui fabriquaient (sans modèle) les costumes, les bijoux, les peintures … était incroyable… avec presque rien comme matériaux.
M
michele
09/03/2008 22:21
Quelle sophistication! Seuls les indiens sont -ils capables de tant d'intensité et de patience dans les cérémonies religieuses?Je remarque que ces rituels permettent certainement aussi de réguler les tensions sociales si les rôles peuvent être inversés entre brahmanes et intouchables, le temps du teyyam.On manque très certainement de rituels en occident... Je pense que beaucoup de gens iraient mieux si le spirituel était encore très imbriqué dans la vie quotidienne.Mais où sont donc passées les femmes?J'adore la jupe coco/tissu!
je me suis aussi posé la question pour les femmes… et je l'ai posée… je ne suis pas sûre qu'il y en ait, à la grande différence du candomblé brésilien. Je suis tout à fait d'accord avec toi sur le manque de rituels chez nous… il m'arrive d'ailleurs de m'en inventer dans certaines occasions pour marquer le coup.
P
Pescalune
09/03/2008 17:37
Merci pour ce récit passionnant et tes (toujours) magnifiques images Venezia ! Biz
Je ne suis pas entrée en transe, d'ailleurs l'atmosphère bon enfant ne s'y prétait pas… Je ne suis pas sûre non plus que tous les danseurs l'aient été.