J'ai assisté ce week end, à Nant (Aveyron), à la première fête des Simples, organisée, entre autres, par l'association «les Simples» qui regroupe 80 producteurs de plantes médicinales bio installés en zone montagneuse. Personnellement, je trouve que le label Simples est l'un des meilleurs gages de qualité pour les huiles essentielles, les hydrolats ou les plantes en vrac. Son cahier des charges est exemplaire. J'ai découvert à Nant quelques producteurs que je ne connaissais pas (Simples n'y était pas au complet, hélàs… ). Ce qui fera l'objet d'une autre rubrique où je donnerai leurs coordonnées. Peu sont sur internet… le sens du marketing n'est pas leur premier talent, eux qui sont pourtant aussi passionnés que passionnants quand ils évoquent leur amour pour les plantes.
Cette fête a été l'occasion de conférences et d'une table ronde sur la réglementation des plantes médicinales en France, comme en Belgique ou en Suisse, où la situation est beaucoup plus confortable. Il faut savoir qu'en Europe, deux domaines restent des choix nationaux échappant à Bruxelles: la défense et la politique de santé, ce qui explique les très grandes divergences du statut des simples d'un pays à l'autre. J'ai ainsi appris avec stupéfaction qu'il y avait 1034 plantes en vente libre en Italie, 400 en Grande-Bretagne, autant en Belgique, 341 en Allemagne… et, pour le moment, et depuis 1979, 34 seulement en France. Chiffre qui devrait passer prochainement à 147. Le statut des épices et aromates est à part, la plupart ne figurant pas sur la liste des 34 libérées… mais dans un document de 1975 (norme Afnor) qui liste 85 espèces (comme le thym ou l'hysope).
Une plante "libérée " c'est quoi? Celle que l'on peut vendre hors du circuit pharmaceutique, à condition de ne pas lui attribuer de valeur thérapeutique. N'importe qui peut donc commercialiser une tisane de plantes figurant dans la liste… à condition de ne pas dire à quoi elle sert, et de ne pas indiquer de posologie. Il faut savoir aussi qu'on a le droit de gloser sur les vertus des Simples autant qu'on veut, de publier ou de conférencer… à condition de ne pas en vendre. Bonjour Monsieur Ubu.
En France, une substance végétale est soit un aliment, soit un médicament. Or beaucoup de végétaux traditionnels ont des usages multiples. Ce qui est le cas par exemple de la prêle, utilisée en décoction, voire saupoudrée sur des salades mais aussi… nettoyant ménager en raison de sa richesse en silice.
Prêle, dessin de Claudine Rabaud, extraite de ce site qui milite pour la biodiversité.
C'est cette prêle qui est en train de miner Biotope des Montagnes, petite coopérative appartenant à l'association Simples. Elle a été condamnée (en instance. Biotope a fait appel, la décision est suspensive) pour en avoir proposé à la vente… La prêle n'est pas libérée (tout comme le souci ou le bleuet d'ailleurs, il faut le savoir… ). Dans les attendus fort complexes qui accompagnent la décision du tribunal, on apprend que cette plante a été classée comme «nouveau complément alimentaire» dont la non toxicité n'a pas été démontrée. Il faut le lire pour le croire quand on sait qu'elle poussait déjà à l'âge des cavernes… Elle dépend donc, avec ce classement insolite, d'un réglement européen sur les nouveaux aliments. En sont exemptés les végétaux obtenus par "multiplication et reproduction traditionnelle". Ce qui n'est pas le cas de la prêle de Biotope, ramassée par cueillette.
Que faire pour tirer d'un tel embroglio ces Simples qui appartiennent au patrimoine populaire? L'idée avancée par certains producteurs mais aussi par des ethnobotanistes, des universitaires et des chercheurs est de leur trouver un statut à part. Une sorte de troisième voie qui consacrerait leurs vertus confirmées par la tradition. L'idée est de mettre sur pied un réseau -et un manifeste- pour réhabiliter leurs usages traditionnels. Baptisé Populus, il se veut donc un outil de collecte d'information et de défense de l'usage des simples.
Première étape: lancement d'un questionnaire pour recenser et faire le point sur les pratiques populaires concernant les plantes. Qu'utilise-t-on, où achète-t-on ses plantes, d'où tient-on son savoir? etc. sont quelques unes des questions posées. Un premier questionnaire a déjà été distribué à Nant, il sera affiné et complété. L'idée serait aussi de parvenir à mettre à disposition du plus grand nombre un outil de référence sur les simples, une pharmacopée populaire fondée sur les espèces d'usage courant. Elle pourrait faciliter l'automédication pour les bobos courants. Un manifeste va prochainement être publié pour présenter Populus.
Parmi les sources d'inspiration de Populus: les projets Tramil et Tramaz, dont l'un des coordinateurs, Christian Moretti, pharmacologue à l'IRD (institut de recherche et développement, c'est un spécialiste des recheches botaniques pour le paludisme) était présent à Nant. Dans les Caraibes et en Amazonie où ces projets ont été réalisés, une grande partie de la population ne peut accéder aux soins ou aux médicaments. L'idée a été de partir de ses besoins en demandant aux gens quels étaient leurs maux les plus courants. A partir de là, l'équipe de Tramil a recherché les médicaments traditionnels utilisés pour soigner ces pathologies. Puis, sans passer par une validation de leur efficacité en laboratoire, ce qui aurait pris des décennies, elle a retenu les remèdes: -qui étaient cités dans 20% des cas -qui ne présentaient pas de toxicité -qui pouvaient s'accompagner de faits cliniques pouvant conforter la tradition. Une pharmacopée populaire a ainsi été validée et des remèdes fabriqués en respectant des critères de qualité.
La France n'est pas l'Amazonie… mais le savoir populaire, ici comme là bas, est un bien trop précieux pour le laisser sombrer dans l'oubli.
Un contact pour le réseau Populus: reseauplantmed@yahoogroupes.fr