Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques
4 Mars 2022
Tourteaux bretons. et crabes chevelus de Shanghai, parmi les plus onéreux de l'espèce, photographiés à l'épicerie de luxe du Siam Paragon à Bangkok
Intermède : black pepper crab
Lors de notre séjour à Langkawi à la fin de l’an 2000, j’ai découvert les délices du black pepper crab (crabe au poivre noir), l’un des plats emblématiques de la cuisine malaise et de celle de Singapour. Alors que le projet de reportages sur le poivre commençait à peine à se concrétiser, ce ravissement gourmand a probablement contribué à nous lancer sur la piste de l’épice.
Langkawi est l’île principale de l’archipel malais du même nom, proche de la côte nord-ouest du pays. Nous avions décidé d’y fêter la fin de l’an 2000, tout simplement car elle est très facile d’accès, et qu’il y fait beau et chaud l’hiver. Frivolité assumée alors.
Si nous avons changé plusieurs fois d’hôtel, tous les soirs se posait la même question: où diner? Tous les soirs, je faisais la même réponse: n’importe où, à condition de déguster un bon black pepper crab.
Dans mon souvenir, nous avons assez vite arrêté notre choix sur un restaurant plutôt banal, ni luxueux ni pouilleux, où la préparation du crabe était particulièrement réussie. Je ne me souviens plus de son nom, je n’ai pas réussi à mettre la main sur le petit carnet de voyage correspondant à Langkawi.
En revanche, je me rappelle très bien nos déambulations nocturnes pour y arriver, source personnelle d’angoisse que seule la puissance de la gourmandise attendue me permettait de surmonter. Ce chemin problématique a sans doute renforcé le souvenir du plaisir associé.
J’ai toujours eu une calamiteuse vision de nuit or la grande route que nous avions longuement à longer jusqu’au restaurant n’avait d’autre éclairage que les phares éblouissants des voitures nous frôlant à toute vitesse. Nous trottinions sur le bas-côté, une étroite bande tantôt herbeuse, tantôt goudronnée, bordée par ailleurs d’un fossé peu engageant que nous parvenions parfois à enjamber quand un bout plus large de terrain nous permettait de nous éloigner de la route. Je m’habillais en blanc et demandais à Michel d’en faire autant – au moins pour la chemise - pour qu’on nous distingue un peu de la nuit si noire des Tropiques. Cette épreuve qui durait vingt bonnes minutes me semblait bien moins difficile au retour, le ventre plein et les papilles satisfaites.
Le black pepper crab qui nous attendait, servi généreusement, ne pouvait se déguster qu’avec les doigts, ce qui a souvent compromis nos tenues immaculées. Une sauce courte, aussi puissante que sombre enrobe en effet les carapaces et les pinces présentées grossièrement concassées. S’attaquer à ce type de plat est une affaire sérieuse, à traiter sans compromission avec les mains.
J’ai consulté de nombreuses recettes sur internet, notamment celles de Singapour qui revendique la paternité du plat, apparu semble t’il à la fin des années cinquante. La conjugaison de sauces de soja (noire et claire) et de sauce d’huitre confère au black pepper crab sa teinte caractéristique. A Singapour, on utilise le ketjap manis, variante très foncée, à la fois sucrée et épicée. On ajoute aussi parfois de la pâte de haricots noirs fermentés et/ou de soja jaune fermentés, qui donne une mâche particulière. Toujours du poivre grossièrement écrasé, du piment, un peu de sucre si on n’utilise pas de ketjap manis, et souvent du gingembre frais, de l’ail, des échalotes, de la cive ou des oignons nouveaux hachés fin, des feuilles de curry, éventuellement de la coriandre fraiche ajoutée au moment de servir. Quand la sauce est un peu épaisse, c’est qu’elle a été liée à la fécule de maïs (maïzena). Matières grasses: huile mais aussi, curieusement du beurre, présent dans toutes les bonnes recettes.
Le plat peut se réaliser avec des tourteaux. Michel appréciait les crabes bleus de mer que l’on déguste souvent en Asie.
Quelques exigences à respecter:
- griller légèrement le poivre à sec avant de le concasser
- rôtir les crustacés à feu vif jusqu’à ce que la carapace rougisse. Arroser d'un verre d’eau, baisser le feu, couvrir et poursuivre la cuisson 15 mn. Ajouter un peu d’eau si nécessaire. On peut aussi cuire 20 mn à la vapeur. Pour endormir des crabes et limiter leurs souffrances, les placer au préalable une bonne demi-heure au congélateur et ne concasser leur carapace qu’après cuisson.
- préparer la très courte sauce à part: faire revenir d’abord oignons, échalotes ou cives et ail dans un peu d’huile, déglacer avec les sauces (éventuellement avec un peu de jerez), puis incorporer le reste des ingrédients et des épices, et laisser mijoter 7 à 8 minutes. Pour une sauce plus consistante, - mais qui doit rester très courte, c’est-à-dire à peine s’accrocher aux carapaces - diluer un peu de maïzena dans un liquide froid avant de l’incorporer au mélange et de laisser épaissir
- ajouter les morceaux de crustacé, du beurre, bien mélanger
- parsemer éventuellement d’un hachis de coriandre fraîche et servir fumant
Et sauf si l’on doit arpenter de nuit une autoroute malaise, éviter de s’habiller en blanc au moment de déguster.
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