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Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques

Madagascar 2: le poivre et l'ylang de Nosy Be

Madagascar 2: le poivre et l'ylang de Nosy Be
Madagascar 2: le poivre et l'ylang de Nosy Be

Sur le chemin du retour vers Tamatave, la plantation Mon Désir montre une évidente confiance dans l'avenir. Le décor est sublime, avec des petites collines plantées de poivriers, des grands arbres pour leur apporter de l'ombre, et des chemins qui sentent le patchouli. La terre est rouge, légèrement sableuse.

- Sentez, lance monsieur Raymond en froissant des feuilles qui développent un parfum exubérant.

Dans un vallon abrité, une construction gracile en bambou dessine une sorte de pavillon à l'ombre protectrice.

- C'est une pépinière, explique le planteur. Elle nous permet d'agrandir la plantation en sélectionnant les variétés dégageant les meilleurs arômes. Sur les 40 hectares répartis en 5 parcelles, nous faisons appel à deux poivres d'origine indonésienne: le lampong kanur avec de grandes feuilles et des petites baies et le muntok bangka aux petites feuilles et aux grosses baies. Il existe aussi des hybrides qui donnent de très bons résultats. Le travail long et exigeant nécessite plusieurs étapes:  bouturage, repiquage sur les plates-bandes, mise en pot des boutures racinées, développement sur des constructions ombragées et enfin plantation. Pour les tuteurs, nous choisissons des gliciridia, des arbres à croissance rapide qui possèdent une écorce rugueuse facilitant l'accrochage de la liane de poivre. On les espace largement, 2m sur 4. Les jeunes poivriers sont installés au début de la saison des pluies à raison de deux plants par tuteur. Durant les deux premières années, les fleurs sont éliminées pour renforcer la base de la plante. La récolte ne démarre qu'à la troisième année. Avec l'apparition d'au moins un grain rouge en haut et en bas de la grappe, nous savons que le poivre est suffisamment mûr.

A maturité, un hectare donne 350 kilos de poivre vert, 100 kilos de poivre vert fournissant 35 kilos de poivre noir. Peut-on avancer l'idée de terroir? Le poivre de la côte est de Madagascar est tout simplement magnifique : très noir, très dense et très bon avec des arômes puissants et complexes qui reposent sur une grande richesse en huiles essentielles. Il séduit par son piquant raisonnable et sa longueur en bouche. Des qualités que l'on retrouve dans le poivre vert malgache. La spécificité du sol compte dans cette réussite mais aussi le climat, idéal, avec ses 6 à 7 mois de pluies régulières suivis d'une saison sèche qui optimise la maturité.

Chaque année, Jean-Claude Lon Sang passe ses hivers à Tamatave. Il envoie des containers de litchis à ses frères en France. Il possède aussi une petite poivrière à Ivoloina dans la grande banlieue de la ville. Avec ses plants parfaitement alignés et impeccablement taillés, la plantation est magnifique : un hectare de poivriers qui démontre tout le potentiel de la terre malgache. Jean-Claude Lon Sang récolte le poivre vert qu'il conditionne en saumure pour l'exporter en Afrique du Sud. Dommage, c'est frais que le poivre vert donne le meilleur de lui-même. Le restaurant de l'hôtel Joffre à Tamatave en apporte la preuve. Dans une salle à manger qui évoque la période coloniale, on vous sert un filet de buffle avec une sauce magnifique relevée de la saveur exubérante et fraîche du poivre vert. Un délice...

"Là où il y a de la poudre", c'est ce que signifie Ambanja, souvenir du temps où ce port de la côte ouest de Madagascar entretenait un commerce de poudre à canon avec les Arabes. S'étirant le long des rives de la rivière Sambirano, la ville n'attire guère l'attention. L'ancienne capitale du royaume des Sakalavas est devenue une grosse bourgade agricole. Dès le début de la colonisation, à la fin du XIXème siècle, la région fertile tomba vite sous la coupe de l'économie latifundiaire. Gallieni le "pacificateur" distribua les terres. Pour rester en bons termes avec les autochtones, les Français créèrent aussi des "réserves" permettant à de nombreux villages de poursuivre leurs productions agricoles traditionnelles tout en cultivant certains produits de rente comme la canne à sucre, le coton, le tabac, le café... et le poivre. A Madagascar, le culture du poivre est née avec la colonisation. Le seul poivre malgache connu était un poivre sauvage, appelé voastsiperifery ( en malgache: de voa, qui signifie fruit et tsiperifery, nom de la liane qui le porte). Pour les botanistes, c'est un piper borbonense, cousin du piper nigrum. La liane qui s'accroche très haut dans les arbres des forêts humides produit des baies à queue qui virent au brun ou au rouge après séchage selon leur état de maturité. Apparu sur les tables françaises voilà quelques années, il a séduit par sa saveur douce et poivrée qui convient aux viandes braisées et aux fruits.

Face à la côte nord-est de Madagascar, l'île de Nosy Bé passa elle aussi sous la coupe coloniale. Dans les années 1920, la Compagnie Générale de Participations et d'Entreprises y possédait la sucrière de Dzamandzar, soit près de 10 000 hectares dont les ouvriers furent souvent envoyés par la Maison de Force. On y cultivait également la vanille, l'ylang-ylang et accessoirement le poivre. La situation changea après le second conflit mondial, et surtout avec la guerre d'Indochine, qui coupa la route du poivre du Vietnam. Prévoyants, les Français plantèrent des poivriers sur Nosy Bé.

Annexée par les touristes friands de sables chauds et de mer turquoise, l'île semble un peu sonnée. Les choses avancent trop vite et les mentalités ne suivent guère. Devant un développement effréné et l'argent facile, l'agriculture ne semble plus une vraie priorité. Seul l'ylang-ylang parvient encore à s'en tirer. Les vallées où sont cultivés ces arbres aux fleurs parfumées importés par les Français inspirent la désolation. Etétées, les branches sont rabattues vers le bas pour faciliter la récolte. Etranges arborescences couronnées de moignons, elles font penser à des lépreux. Généreux, l'ylang-ylang fleurit sans discontinuer. Ses fleurs à l'odeur pénétrante et épicée rappelant les œillets et les narcisses se récoltent tout au long de l'année. Dans la campagne, des alambics rudimentaires qui pourraient figurer dans des écomusées dégagent des nuages de fumée lors de l'extraction de l'huile essentielle. Et le poivre ? Il a presque disparu, vaincu par l'arbre à parfum. En se baladant dans l'île, on peut apercevoir les lianes folles de poivriers abandonnés. Il a suffi que les cours de l'épice s'effondrent pour que les poivriers disparaissent de Nosy Bé.

- C'était couru, précise Younous Fidali, un vendeur d'huiles essentielles. L'ylang-ylang fleurit chaque semaine en apportant de l'argent régulièrement, le poivre n'offre qu'une récolte par an. Les petits paysans ont laissé tomber. Nosy Bé produisait plus de 200 tonnes voilà 20 ans, aujourd'hui on ne dépasse pas 10 tonnes.

 

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M
Tu as choisi le même plat que moi au Joffre ^_^ <br /> La viande est particulièrement savoureuse à Mada.<br /> <br /> C'est éprouvant ce contrastes entre la paradisiaque Nosy Be et son assise sur de la désolation. <br /> Du voatsiperifery m'a été offert par l'un de mes fils à Noël, je vais le sentir de suite après ma lecture.<br /> <br /> Quant à l'ylang, je te redis ici que j'aurais adoré lire en parallèle de ces messages sur le poivre, ce que tu fabriquais en cosméto et cuisine après chacun de ces voyages. Le parfait duo!
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V
La pauvreté, je dirais même le dénuement de Madagascar nous avait beaucoup marqués. <br /> Comme je l'ai expliqué, le blog a démarré en 2006 quand Michel m'a offert un appareil photo numérique, ce qui me permettait d'illustrer mes articles. Or la plupart des voyages -sauf le deuxième indien et Sumatra- ont été faits avant cette date. J'ai des recettes de cosmeto maison sur un fichier. les premières remontent à 2004, soit deux ans avant l'ouverture du blog, je vais regarder, mais je pense qu'à l'époque ,je bricolais avec ce qu'on pouvait trouver en France. <br /> Pour les recettes de table, on les a peu notées, hélàs. La cuisine indienne nous plaisait beaucoup, mais j'ai fait des plats indiens à la maison surtout après deux voyages indiens en 2015 et 2016.En effet, j'avais noté ceux d'un centre ayurvedique où j'avais séjourné, pour les traduire en vraies recettes (avec poids et quantités), recettes que j'avais envoyées au centre au cas où il aurait voulu en faire un livret pour les offrir ou les vendre à leurs hôtes. (je leur avais proposé ça lors de mon deuxième séjour comme soutien financier). Hélàs, ça n'a pas abouti.
M
Ah! chère Vénézia qui s'inquiète de ce qu'une amie ne s'intoxique pas ! Il y a dans cet article quelque chose de triste, c'est qu'il faut être à la hauteur de l’exigence du poivre. Et la douce et généreuse Ylang se donne à profusion, alors....Les chemins qui sentent le Patchouli dans la plantation "Mon désir" me laisse rêveuse.
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V
Mariebaume, <br /> Les feuilles de patchouli dégagent vraiment leurs parfum après une fermentation, exactement comme les feuilles de tabac. Néanmoins, elles sentent bon.
I
En effet, on comprend pourquoi l’ylang ylang supplante le poivre. Je ne peux que dire de nouveau que j’affectionne ces reportages qui m’apprennent beaucoup. Bises
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V
J’ai encore en tête l’image de ces pauvres pieds d’ylang qui semblaient vraiment malmenés
A
J'aurais trop à dire sur ce sujet. Les administrateurs rêvaient d'aller à Madagascar, si verte, si opulente. Mon père dans ce but, avait appris le malgache; alors, évidemment, la France ne l'y envoya pas; c'est ça, les absurdités des fonctionnaires français!!! Passons, j'ai une lampe pour les huiles essentielles; tous les soirs, je dors avec de l'ylang- Ylang. C'est radical. Je dors d'une traite! <br /> Mais avant de sombrer, je te remercie et t'embrasse avec grande amitié. Il pleut, je vais faire la paperasse en retard....
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V
L’ylang a un parfum très enveloppant et apaisant. J’espère quand même que ta lampe ne diffuse pas toute la nuit!