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Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques

Vietnam 1: une poivrière du delta du Mékong

La plantation de Weng, près de Hà Tiên
La plantation de Weng, près de Hà Tiên

La plantation de Weng, près de Hà Tiên

Monotone et d'une infinie platitude, la route qui va de Châu Dôc à Hà Tiên n'en finit pas de rayer le delta du Mékong. Impeccablement rectiligne, elle longe au plus près un étroit canal où glissent des péniches ventrues. Etranges bateaux animés par le regard des yeux peints sur leur proue qui transportent des briques, du sable, des bambous. De loin en loin, des petits villages aux maisons modestes habitées par des ouvriers agricoles rompent le lancinant voyage.

Nous avions parcouru le delta du Mékong juste avant la fête du Têt, et les embarcations croulaient de fleurs et de pots de mandariniers. Je ne résiste pas au plaisir d'afficher ces photos...

Après Hà Tiên, la terre commence à frémir en prenant la direction de la frontière cambodgienne, à sept kilomètres à peine. De grosses collines arrondissent l'horizon et les bruns de la plaine laissent la place au vert intense de la forêt.

- Du poivre, du poivre!, crie Chen notre guide en pointant l'index vers un coteau couvert de poivriers. Son enthousiasme explose comme s’il venait de découvrir une nouvelle terre. Très vite, notre voiture quitte la route 33 pour un chemin de traverse, une mauvaise piste qui s'enfonce dans  la campagne. Quelques maisons se groupent autour d'une quincaillerie rustique. Notre guide part s'informer auprès d'un homme jeune et costaud. Chance inouïe, il tape dans le mille.

- Ce monsieur est d'origine chinoise et il possède des poivriers tout près du village. Il me demande si vous voulez les visiter.

Cette rencontre, c'est poursuivre une histoire commencée voilà deux siècles quand des Chinois se sont installés en Cochinchine. Weng le jeune planteur semble ravi de faire visiter ses poivrières. Il nous entraîne sur un sentier pentu qui traverse la forêt. Après avoir passé devant les tombeaux de la famille, de vastes dalles couvertes d'inscriptions en caractères chinois, nous finissons par atteindre la poivrière qui forme une sorte d'immense clairière. Superbe, jamais nous n'avons vu d'aussi belles plantations. Elles occupent de larges terrasses reposant sur des assises de pierres taillées parfaitement alignées. Par endroit, cela ressemble aux vieilles restanques du vignoble de Bandol. Formidable travail qui raconte un défrichement insensé et la mise en état d'un terrain difficile. Les poivriers qui adoptent une forme presque sculpturale dessinant un envol paraissent impeccables. Le paysan est légitimement fier et il prend la pose en parlant de l'avenir.

- Je suis un des derniers du village à parler chinois et le dernier de ma famille. Le mois prochain, j'épouse une vietnamienne et mes enfants ne parleront pas chinois. La confidence est confiée avec un regret. Comme un manquement irréversible à une tradition ancestrale.

Avant l'arrivée des Français, l'idée de frontières naviguait dans l'imprécision et l'incertitude. Les historiens racontent que la région - cambodgienne- de Kâmpôt qui débordait sur l'actuel Vietnam était peuplée d'une population très mélangée : Chinois, Vietnamiens,  Cham musulmans, Cambodgiens. C'est au milieu du XIXème siècle que les Chinois de Hainan introduisent la culture du poivre dans cette zone au sol et au climat favorables. Si le commerce du poivre et des épices se trouvent dans les mains des Chinois, les plantations appartiennent aux métis qui cultivent aussi de l'arec, des mûriers et de l'indigo. "En 1902, le poivre valait 38 à 40 piastres le picul (une mesure chinoise équivalant à 62,5 kilos)" nous apprend Henri Jumelle dans Les Ressources Agricoles et Forestières des Colonies Française. A la fin des années 1940, la province totalise 300 000 poivriers. Un poivre qui a parfumé la cuisine française jusqu'à la guerre d'Indochine.

Ho Chi Minh Ville au siège de la Vietnam Pepper Association, 135 Pasteur District 3. Notre interlocuteur occupe l'un postes de direction. Jeune, dynamique, avec de l'entregent, il a été visiblement poussé par le Parti. Façon de dire qu'il a les responsabilités mais pas forcément toutes les connaissances. Entouré d'une troupe d'admirateurs, il devise puis se fait reprendre très poliment par un des ses conseillers.

- C'est un incroyable succès, lance-t-il, le Vietnam est devenu le premier producteur mondial de poivre. Et l'on n'a pas toujours compris le déroulement des choses. Cela s'est fait sans les autorités vietnamiennes.

Retour sur cette réussite. Au début des années 1990, les cours mondiaux du poivre ont commencé à s'envoler à une époque où le Vietnam s'ouvre à la libéralisation du commerce. L'information circule auprès des paysans qui redécouvrent la possession privée des terres. Sans concertation avec le pouvoir central, ils plantent des poivriers sur les hauts plateaux du centre du pays. Les provinces de Dak Lak et de Dak Nong (hauts plateaux du centre), celles de Binh Phuoc et de Bar Rjia Vung Tau (au sud est) et le district de Chu Se (dans la province montagneuse de Gia Lai) se convertissent alors au poivre. Le succès est exceptionnel : en 2000, le Vietnam produisait 17 500 tonnes de poivre, en 2005, 95 000 tonnes. Depuis 2003, si le Vietnam est devenu le premier producteur mondial de poivre, l'inde le suit, mais le dépasse en matière de qualité et de valeur ajoutée.

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M
Hop, on saute de Mada au Vietnam, j'adore!<br /> Et j'attends la suite avec délices. Comme le dit Mariebaume, encore des chinois! <br /> <br /> Annabulles m'a rapporté un très bon poivre de Kampot de leur périple en Asie juste avant la pandémie, produit par un couple de Français en bio. C'est vraiment un monde ces poivres.<br /> <br /> Merci infiniment pour ces partages Venezia.
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V
Nous avons séjourné à Kampot à une époque où le démarrage de la commercialisation du poivre en était à ses balbutiements. On en trouve partout en France maintenant. Tout a beaucoup changé depuis 20 ans!
I
Merci pour les photos qui apportent beaucoup à cet intéressant reportage.
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V
Irene, <br /> j’ai eu la chance de retrouver qqs photos déjà téléchargées sur un vieil ordinateur. Pour les reportages précédents, j’attends la numérisation des diapos.
M
Toujours les Chinois, j'imagine le mécontentement du parti,le pouvoir central, lorsque les paysans se sont mis à planter des poivriers sur des terres privées, et avec un si flagrant succès. Mais Michel nous dit que la qualité Indienne est supérieure. <br /> Passionnant !
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V
Avec la suite du reportage, tu vas découvrir qu’on peut aussi trouver du poivre de qualité au Vietnam