Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques
10 Octobre 2016
La double deuxième page de A girl called Jack. Curry de lentilles à la tomate (version avec des courgettes)
Le titre est long, mais je cherchais à être un peu explicite (ce qui n'est pas gagné!)
De retour d'Angleterre, j'ai navigué sur internet à la recherche d'info et je suis tombée sur un blog de cuisine qui m'a intriguée puis passionnée. Autant par la personnalité de son auteur que par ses recettes ingénieuses (et économiques).
Quand Jack Monroe débute son blog en février 2012, elle a 24 ans, un gamin de 3 ans et le porte monnaie complètement à plat suite à un licenciement, un an auparavant. Le contexte économique archi-libéral de l'Angleterre n'est pas un environnement amical quand on est dans la dèche.
Elle s'est donc retrouvée avec 10 £ (12 euros à peu près) par semaine pour se nourrir. Et elle a décidé de relever le défi.
Elle a hanté les rayons de Sainsbury (grande chaine de supermarchés, avec une section '"basic", équivalent british d'un Lidl ou d'un Dia) pour repérer les ingrédients (non transformés) sains et bon marché à privilégier. Ce qui l'a conduite à multiplier le recours aux légumineuses comme source de protéines végétales, à se convertir aux pains maison mais sans map, à utiliser épices et aromates pour doper le quotidien, et à tester des mélanges hardis de saveurs pour l'ensoleiller. C'est très malin, et pour ce que j'ai testé, délicieux.
Comme Jack a des origines chypriotes, sa cuisine possède des accents méditerranéens et comme elle vit en Angleterre qui compte une importante communauté indienne, curries, vindaloos et autres plats indiens sont souvent au menu.
En fin d'article, je donnerai quelques liens où l'on peut retrouver nombre de ses recettes (en anglais).
Suite de l'histoire: en juin 2012, elle écrit une chronique percutante qu'elle appelle "la pauvreté, ce n'est pas seulement ne pas avoir assez de nourriture". Texte qui fut retweeté, reblogué, publié et lu (y compris au Parlement où elle fut invitée) plus de 20 millions de fois. Elle y explique sa descente vers le moins et le rien: couper le chauffage, diluer les produits d'entretien jusqu'à l'infime pour les faire durer, couper l'eau chaude, tout vendre ou mettre au clou, jusqu'à ne garder que deux bols, deux fourchettes, deux couteaux; bref aller vers une simplicité (in)volontaire radicale.
Son blog qui a eu beaucoup, beaucoup de succès l'a peu à peu sauvée. D'abord parce qu'elle a pu tenir son pari, se nourrir et nourrir son fils convenablement avec ses 10£ hebdomadaires, une vraie prouesse. Ensuite parce qu'elle a publié deux livres de cuisine qui ont bien marché, qu'elle a eu des chroniques dans les journaux (Huffington Post, the Gardian) et que grâce à son aura, elle s'est engagée dans des campagnes liées à la solidarité, ce qui lui offre une tribune et une place.
Nouvelle aventure: elle est en train de changer de sexe…
Je me suis inspirée de sa façon de faire pour mettre au point une recette dont je me délecte en la refaisant au moins une fois par semaine (avec des variantes) depuis plus d'un mois.
Je parle de "sa façon de faire" car beaucoup de ce qu'elle propose commence par "hâcher un oignon et le faire revenir à feu doux" … ce qui me rappelle d'ailleurs furieusement la cuisine à l'indienne.
Donc voilà l'un de mes essais "à la manière de Jack" , une sorte de fouzitout amélioré préparé en une demi-heure tout compris et devenu favori. Je l'ai baptisé curry de lentilles à la tomate mais on pourrait aussi l'appeler tomates épicées aux lentilles, dhal à la tomate, etc.
J'indique tout ce que j'utilise, en précisant ce qui me semble indispensable et ce qu'on peut supprimer ou substituer.
Curry de lentillles à la tomate
Pour 2 personnes affamées
60g de lentilles roses (ou vertes ou noires, j'ai déjà testé avec des béluga).
Un oignon moyen (ou un demi très gros)
un soupçon de vin blanc sec ou à défaut d'eau
une cuillère à soupe d'huile (jutiise de l'olive, on fait avec ce qu'on a)
Une carotte moyenne pelée et coupée en rondelles fines
au choix: une aubergine pelée et coupée en petits morceaux, une courgette pelée et coupée en petits morceaux, des petits piments doux coupés en petits morceaux et épépinés … ou rien.
Eventuellement, deux cuillerées à soupe de lardons ou une demi tranche de jambon cru coupé en carrés… ou rien
du sel
une cuillère à soupe de sirop (j'utilise du sirop de kittul indien, -sucre de palme- très parfumé et à l'indice glycérique pas trop élevé). On peut remplacer par du sirop de canne, d'agave ou même par du sucre en poudre ou en morceaux.
300g environ de passata (purée de tomates italienne). On remplace par du coulis de tomates, des tomates fraiches pelées et épépinées. La préparation de tomates doit être un peu épaisse, et de composition la plus simple possible.
du piment: j'utilise une sauce au piment coréenne (bulgogi) mais on peut employer de l'harissa, du piment d'espelette, du cayenne… ou rien pour les palais sensibles.
épices: deux feuilles de laurier et une cuillère à soupe de graines de coriandre. Il me semble que ces deux épices donnent vraiment le goût au plat, ainsi que l'ail que je préfère ajouter en poudre (une cuillerée à café suffit) pour un mélange plus homogène. Sinon, ajouter une gousse d'ail coupée en tranches fines en même temps que les carottes. A défaut de ce que je cite, on fait avec ce qu'on a dans ses placards. (cumin, curry, etc)
Je parfume en plus avec : un petit morceau de cannelle en bâton, deux cardamomes vertes ouvertes, une cuillerée à café de graines de fenouil et un tronçon de gingembre débité en lamelles.
Comment faire? En fait, il s'agit de préparer une sorte de ketchup maison très parfumé (d'où la présence de sucre) que l'on mélange à des lentilles cuites.
Donc:
Hacher l'oignon et le faire revenir à feu doux dans une poêle avec l'huile sans qu'il ne colore, et en le salant pour accélérer la cuisson.
Pendant ce temps couper la carotte et éventuellement l'autre légume.
Ajouter la carotte aux oignons, ainsi que le laurier et les graines de coriandre. Remonter un peu le feu, touiller. Dès que cela semble prêt à attacher, ajouter un peu de vin blanc ou à défaut d'eau (ça doit faire pschitt), c'est ce qu'on appelle déglacer. Recommencer une deuxième fois. Puis baisser le feu au maximum ajouter le deuxième légume, éventuellement les lardons, le reste des épices y compris le gingembre remuer et couvrir.
A ce moment, préparer les lentilles: les rincer jusqu'à ce que l'eau soit claire puis les couvrir largement d'eau froide et les mettre à cuire en couvrant.
Quand ça bout, découvrir, baisser au maximum et laisser cuire 15mn.
Au moment où les lentilles démarrent leur ébullition et vivent leur vie dans la casserole, verser la passata dans la poêle sur le mélange de légumes aux épices, bien remuer, ajouter le piment, le sucre ou le sirop, remuer à nouveau, et continuer la cuisson, feu minimum et à couvert. Goûter pour rectifier éventuellement le piment et la dose de sucre selon l'acidité des tomates.
Quand les lentilles sont cuites, les rincer brièvement et les égoutter avant de les ajouter dans la sauce tomate épicée. Bien remuer, laisser cuire 2 ou 3 mn encore et c'est prêt. Attendre 5mn avant de se jeter dessus pour une meilleure harmonisation des parfums.
Régalez vous.
A préparer en quantités suffisantes pour déguster le reste froid. Délicieux en apéro avec des chips tortillas indiennes.
Outre son goût exquis, c'est un plat complet, avec des épices qui aident à la digestion, de la tomate riche en lycopène, mieux assimilé si la tomate est cuite en présence d'un peu de gras, des lentilles qui apportent des protéines végétales. Si on veut le jouer 100% équilibre alimentaire, on sert avec du riz pour compléter la chaine des acides aminés.
Le blog de Jack (qui a changé de titre): https://cookingonabootstrap.com
Dix recettes publiées dans the Guardian: https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2014/feb/16/jack-monroe-10-recipes
Onze recettes dans The Mirror:
http://www.mirror.co.uk/lifestyle/dieting/recipes/jack-monroes-11-recipes-prove-6813860
Sa biographie sur wikipedia: https://en.wikipedia.org/wiki/Jack_Monroe
Le tire de ses deux livres: A girl called Jack et A year in 120 recipes
Edit: piqûre de rappel, le film de Ken Loach Moi, Daniel Blake, qui n'a pas volé sa palme d'or 2016 à Cannes. Même si l'on pressent la fin au fil du film, la peinture d'une Grande Bretagne à la terrible administration hyper-libérale est sans merci, et les acteurs sont formidables.
Lire l'interview éclairante du scénariste Paul Laverty ici
Voir le profil de venezia sur le portail Overblog