Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques
26 Février 2022
- Ici ce sont les Chinois et les populations tribales qui cultivent le poivre, nous avait répondu vaguement l’un des marchands du marché aux épices de Kuching.
Comment aller visiter les tribus, les Dayaks selon la terminologie générique des ethnologues ? En contactant une agence locale de tourisme pour monter une mini-expédition. Rien ne paraît impossible à un petit homme souriant qui se fait fort de s'occuper de tout : transport, hébergement, repas et guide. Il suffit de payer quelques centaines de ringgit... La confiance est souvent bien récompensée. Le lendemain matin, un véhicule tout terrain nous attend à l'entrée de l'hôtel. Au volant, Susan, une chinoise ronde, dense et souriante qui sera un formidable sésame dans cette escapade aux sources du poivre du Sarawak. Ses atouts maîtres ? Elle parle quatre ou cinq dialectes chinois et la langue Iban des tribus où nous nous rendrons.
La route 1 file vers l'est à travers une banlieue interminable de maisonnettes neuves et rutilantes se répétant à l'infini. Elle se rapproche de la frontière avec le Kalimantan, la partie indonésienne de Bornéo. Nous atteignons Serian, gros bourg agricole dont le marché coloré et vivant propose des poissons qui semblent sortir de l'eau: tilapia, panti king fish, grosses crevettes de rivière bleues encore vivantes ainsi que plusieurs variétés de piments, des herbes, des crosses de fougères, du gingembre frais... Des épices aussi somptueusement présentées que dans les boutiques de la place de la Madeleine à Paris. Mais curieusement pas de poivre. Il apparaît sur les bas-côtés, à la sortie de Serian, séchant sur des bâches ou dans de lourds sacs de plus de soixante kilos. Nous nous arrêtons dans une plantation. Les lianes de poivre s'agrippent à des poteaux de béton enfoncés à flanc de coteaux de terre rouge et argileuse. Vêtue d'un pantalon serré, tongs portés avec des chaussettes, Madame Lee Nyong Moi égrène des grappes de baies pas très grosses à l'aide d'une machine aussi sommaire qu'efficace.
- Avec mon mari nous possédons 1000 pieds de poivriers, raconte-t-elle.
- De quelle variété ?
- Je l’ignore mais elle vient d'Inde et elle est conseillée par le Ministère de l'Agriculture.
- Comment se vend le poivre cette année?
- Très bien, les cours ont remonté et beaucoup de paysans replantent dans la région.
Lentement, la forêt prend le pouvoir quand nous approchons du hameau de Pékan Lachau. Des groupes d'hommes, dans un dénuement absolu, errent dans les rues. C'est ici qu'il faut faire provision de bonbons et de cigarettes, les cadeaux recommandés par notre guide pour nos futurs hôtes Iban. Une piste caillouteuse et défoncée prend le relai de la route à l'asphalte impeccable. Une dizaine de kilomètres plus loin, quelques 4/4 garés au hasard annoncent le port fluvial aménagé dans un coude de la rivière Lemanak. Creusé dans la haute berge d'argile, un chemin conduit à une pirogue amarrée à un pauvre quai de bois. L'embarcation parait instable, elle glisse de rive en rive, de méandre en méandre. A l'avant, un jeune piroguier indique du geste et de la voix le chemin le plus sûr au barreur. Très vite le voyage devient magique tant il donne l'impression de pénétrer dans le rêve: eaux brunes, arbres gigantesques d'une trentaine de mètres qui cachent le ciel et diffusent une ombre voilée, mystérieuse et indécise. Et surtout une présence fastueuse, celle de la forêt primaire. Un monde dense, intense et impénétrable semble envelopper la pirogue.
Après 40 minutes de ce trajet onirique, la pirogue atteint une sorte de plage naturelle de galets gris dans un méandre, asséché en cette saison. Le village Iban est au-dessus, construit sur une butée de terre. Cette ethnie pratique la vie collective dans des long houses, les maisons longues. Celle où nous allons passer la nuit mesure une vingtaine de mètres et accueille cinq familles. L'architecture conjugue le privé et des zones communes. Construite sur pilotis, notre maison est découpée en trois blocs parallèles. Les parties privatives s'ouvrent sur une galerie couverte qui court le long du bâtiment. De loin en loin, des portes donnent accès à un large balcon au sol en bambou. Il s'ouvre sur la rivière et au loin sur les poivrières que l'on entrevoit à travers les arbres sur l'autre rive. Ce qui frappe, c'est l'harmonie, l'écologie naturelle avec des matériaux prélevés dans l'environnement proche. Raffinement des vanneries, des paniers, des vans...
A cinq heures de l'après-midi, la lumière commence à tomber. Un groupe de femmes et d'enfants rentre des champs, chargé de paniers de poivre. Vert, rouge, jaune, de toutes les couleurs. Les grappes sont éparpillées sur des claies de bambou, égrenées et mises à sécher en implorant la clémence du ciel. Des averses drues viennent en effet compromettre régulièrement le séchage du poivre. Un des problèmes récurrents du Sarawak que ce climat fantasque à la fois tropical et équatorial. A mi-avril, le mercure dépasse les 35° et les pluies fréquentes aménagent un confortable hammam.
- Et encore, vous avez de la chance, lance Susan notre guide. Dans deux mois, il fera plus de 40°.
Illustration
tirée de: Capitaine Henry Keppel: The expedition to Borneo of H.M.S Dido (Londres, Chapman & Hall 1846)
et reproduite dans: Bob Reece: les Rajahs blancs, la dynastie des Brooke à Bornéo (Editions du Pacifique)
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