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Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques

Sarawak 3: une nuit chez les Ibans

Sarawak 3: une nuit chez les Ibans

Toutes les familles Iban se retrouvent sur la véranda pour le repas du soir. Les femmes et les enfants restent séparés des hommes, fiers de montrer leurs tatouages. Au menu, du poulet et du porc frits accompagnés de crosses de fougère et de haricots verts longs. Le vin de riz coule à flots, le bruit monte, les langues de délient, le chef du village Juan Anak Belao prend la parole. Susan assure la traduction.

- Le poivre n'est pas dans la tradition des Ibans. Nous ne l'utilisons d'ailleurs pas dans notre cuisine à l'exception sans doute d'une soupe de cochon au poivre noir que l'on sert aux gens faibles pour les requinquer. L'arrivée du poivre dans notre quotidien est relativement récente, c'est une culture imaginée et fortement conseillée par les Hollandais après la Seconde Guerre Mondiale. Leur idée était d'intégrer les tribus qui vivaient dans la forêt en leur faisant découvrir l'argent apporté par la vente du poivre. Parmi les minorités Dayaks, seuls les Ibans et les Bidayuhs se sont faits agriculteurs. Nous avons défriché la terre et planté des poivriers.

Les chiens et les coqs annoncent la naissance de l'aube. Dès que les premiers rayons du soleil ont dissipé la nuit, hommes et femmes se mettent en route pour les poivrières. Ils portent des tenues colorées et, panier de bambou à l'épaule, descendent vers les longues pirogues. Quelques heures plus tard, nous les rejoindrons. Dense, costaud, musculeuse, Siti pilote notre embarcation jusqu'à un étroit ruisseau qui s'enfonce dans une sombre forêt.

- C'est ici que l'on descend.

Pas vraiment évident. La pirogue s'est arrêtée au milieu d'une boue brune, lisse et molle. Pas moyen d'y échapper. La première jambe s'enfonce voluptueusement dans la matière en faisant un bruit singulier. Le pied hésite et finit pas rencontrer une base ferme et définitive. Une chance, la boue n'atteint que le niveau du genou. Lentement, dans un équilibre plus qu'instable, nous progressons pour atteindre une berge plus accueillante. La marche se poursuit le long d’un chemin étroit tracé au milieu des arbres. Très vite, il prend de la pente en montant à l'assaut du coteau. Un moment, le jour prend le dessus sur l'obscurité de la forêt. Nous découvrons soudain une des poivrières des Ibans, une terre bosselée et défrichée où s'alignent les plants. Le désordre indéchiffrable de la forêt laisse la place à un paysage organisé et serein. Une vingtaine de femmes, montées sur des échelles de bois récoltent les grappes à la main. De grosses hottes sur le dos, des hommes font le tour de la plantation pour vider les paniers. C'est déjà la mi-journée, il faut rentrer au village. Une petite colonne se forme pour rejoindre la rivière. En descendant, la pente se fait plus revêche et instable. Pied ferme et cheville d'acier, les hommes chargés d'une cinquantaine de kilos de poivre n'en n'ont cure, franchissant les difficultés d'un pas aussi libre qu'assuré. Pendant ce temps, nous nous accrochons aux branches pour tenter d'éviter une chute qui fatalement arrive.

 

Rivière tropicale, nuit chez les Ibans et culture du poivre... Le tourisme et l'épice ont bouleversé la vie des Dayaks de la forêt. La maison longue où nous avons passé la nuit a reçu l'accréditation des services touristiques locaux. Une douche sommaire a d'ailleurs été aménagée sous les arbres, confort exigé pour l'accueil. Les Ibans, eux, se lavent dans la rivière. Une génération plus tôt, la culture du poivre qui apportait une monnaie sonnante et trébuchante dans une société  ne connaissant jusque là que le troc a modifié les règles sociales. Des besoins inconnus sont apparus. Sur la route de retour vers Kuching, un arrêt dans un autre village chez le chef régional illustrera l'influence du poivre chez les natifs des forêts de Bornéo. Fraîchement repeinte en blanc, la long house a pris des allures occidentales. Dans l'appartement du chef, incroyable surprise. Le bois du plancher a été recouvert de carreaux de faïence immaculée et des fauteuils de velours brillant sous des housses de plastique transparent dessinent un salon où trône une immense télévision. Dans un coin, une femme prépare la cuisine. Frigo, cuisinière électrique, mixer, rien en manque...

- Au milieu des années 90, le poivre se vendait bien raconte le chef. Les prix avaient bien monté et nous avons pu faire des travaux dans la maison. Aujourd'hui, les choses sont plus difficiles.

Pourtant, les Ibans ont bien du mal à respecter un poivre qui leur a apporté une fortune passagère. La maturité reste souvent hésitante et mal assurée et le séchage demeure un problème récurent. Les villages sont mal équipés. Les baies subissent les assauts continus des violentes pluies passagères et de l'humidité ambiante. Résultat, le poivre des Ibans n'est pas toujours de la meilleure qualité.

 

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venezia


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M
On peut avoir le même constat pour le cacao, le café... qui sont des cultures de rapport. Peut-être que c'est différent pour le thé ?<br /> Il se dégage une atmosphère presque triste dans ce message. L'idée que vous avez été frappés par les conséquences humaines des colonisations et peut-être d'une certaine acculturation.<br /> <br /> C'est vertigineux pour moi, tu imagines.
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M
Je ressaisie la grappe de poivre que tu nous tend chère Vénézia. Le poivre une idée hollandaise pour créer la notion d'argent chez les Ibans et les Bidayhus, seuls à accepter, parmi les minorités tribales. Mais on sent une résistance dans le fait qu'il n'en consomment pas, sauf en cas de faiblesse passagère. Ce qui en dit long. Le poivre apparemment en dit long aussi, sur une idée saugrenue ?<br /> Je continue et vous embrasse en amitié
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V
ce qui nous avait le plus étonnés dans tous ces reportages, c'est la quasi absence d'utilisation locale. Je pense que c'était (c'est) vécu comme une culture de rapport: on en vend mais on n'y touche pas.
M
J'ai du retard, pas grave je reviens lire tranquillement à chaque publication et me délecte de l'écriture de Michel et de ses mots si sensuels et ce regard attentif aux populations.<br /> Je revis avec vous mes voyages dans ces contrées intenses de vie et les repas partagés , merci pour tout cela même si le poivre est roi en ces pages, il en ressort tant de gourmandises des gens et des lieux
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V
Coucou Mlk, merci pour ta visite. Oui, je trouve que tout voyage est un réveil des sens tant il nous sort de nos repères quotidiens et contribue à tirer nos sensations de la léthargie du déjà connu
A
Bonjour Martine, merci encore de cet article ; tu dois être émue toi- même de faire remonter les souvenirs.<br /> Iban m'a fait sourire (à cause des relevés bancaires! Bête que je suis!) et la conclusion est décevante au sujet du poivre!!! En plus, ils n'en consomment pas, ça alors!!!<br /> Iban m'a aussi font songer au film Rosy que je te conseille car il est riche d'enseignement. son 3° voyage a lieu en Sibérie, chez les derniers éleveurs de cerfs, les tatanes! Mais quel merveilleux moment quoique émouvant.<br /> La terre est vaste, variée; partout on trouve à méditer...Tu vois comme je peux déraper sur n'importe quoi!
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V
… Ça ne m’étonne pas que les cultivateurs y fassent moins attention, notamment dans la mesure où ils ne goûtent pas à ce qu’ils produisent. Je n’ai pas encore vu le film Rosy mais c’est dans mes plans
V
Heureusement, il y a d.excellents poivres au Sarawaks, autres que ceux des Ibans comme tu le liras par la suite. Si une denrée est cultivée uniquement pour autrui et pas pour sa consommation personnelle