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Des plantes au parfum, des voyages, des inspirations culinaires ou botaniques

Sumatra 2: le poivre blanc de Muntok

Sumatra 2: le poivre blanc de Muntok

L'arrivée sur l'île de Bangka se fait au port de Muntok sous une chaleur accablante. Le thermomètre dépasse les 40°, l'humidité frise les 90%. Les vendeurs du marché tentent de se protéger sous de maigres toiles. La recherche de poivre blanc de Muntok se révèle vite sans résultat. Impossible d'en trouver à Muntok ! Quelques discussions avec des épiciers nous mettent sur la piste. Sur l'île, la route n'est qu'un mot vide de sens. Trouées de nids de poule comme après un bombardement, souvent effondrées, les pistes sont le seul recours du voyage. Dépasser 20 kilomètres à l'heure dénoncerait un tempérament suicidaire de la part du conducteur. Makup, notre chauffeur de taxi, ménage sa Toyota neuve. C'est un grand gaillard débrouillard qui va nous aider dans notre quête de l'épice. Nous roulons sans cahots sur le chemin de Kelapa, où du poivre sèche au bord de la route. Un temps brouillonne et déliée, la campagne se fait plus monotone. A perte de vue, les plantations de palmiers à huile uniformisent le paysage.

- Ils finiront par chasser le poivre de Bangka, lance Wong un planteur de l'ethnie chinoise Hakka qui possède une petite poivrière à l'ancienne près de Bakam au centre de l'île. Quelques parcelles impeccablement tenues occupent des terrasses. Elles s'ordonnent en alignements où les lianes groupées par deux s'enroulent le long d'arbres au tronc épineux qui apportent une ombre modeste. Les grappes affichent de grosses baies rebondies pas encore mûres. Une très belle qualité qui devrait donner un excellent poivre blanc. Quelques grains de la récolte précédente, prestement broyés, délivrent un bouquet exceptionnel. Des odeurs animales se mêlent à des notes boisées. Prestement croqués sous la dent, ils révèlent une saveur ronde et enveloppante, une puissance mesurée et subtile d'une surprenante longueur. Elle s'attarde dans la bouche laissant une sensation de plénitude.

- Les palmiers à huile sont faciles à cultiver, poursuit Wong. Il n'y a qu'une récolte par an et les graines se vendent bien. Devant cette tentation, les poivrières sont arrachées et remplacées. Il faudrait ajouter l'effondrement des cours mondiaux du poivre qui amplifie le phénomène. Résultat, en 10 ans, la production de poivre blanc de l'île de Bangka a été divisé par dix.

Pourtant, tous les épiciers du monde proposent du "poivre blanc de Muntok". D'où peut-il bien venir ? Nous avons fini par en trouver sur le marché de Pangkal Pinang, le cœur commercial de Bangka. Pour tout dire, il n'était pas bien beau. Des baies petites et surtout mal séchées qui sentaient la décomposition. Impossible pourtant de ne pas en rapporter après avoir fait tant de kilomètres. De retour à Paris, nous l'avons fait sécher plusieurs jours sans constater d'amélioration. L'épice fut condamnée à être oubliée à l'abri d'une boite de métal au fond d'un placard. Retrouvé trois ans plus tard, le poivre blanc de Muntok eut droit à une seconde chance. Le nez n'était pas encore pur mais il s'était considérablement amélioré, allant vers des notes d'humus, de champignons, de gibier. Toutefois, c'est en broyant les baies que notre surprise fut immense:son parfum était magnifique. Piquante sans excès mais surtout intense, sa saveur sublime le goût d'une volaille ou d'un poisson. Elle dope la cuisine en lui offrant une allure exceptionnelle.

Le Lampong black pepper est l'autre poivre de Sumatra. Depuis des lustres, il appartient à l'histoire des épices. Dès le XVIIème siècle, le sultanat de Bantam imposa à ses paysans de maintenir un nombre précis de poivriers et de réserver leur récolte aux employés du pouvoir. Les bonnes affaires se faisaient alors dans le port de Bantam, dans l'est de l'île de Java. Asiatiques et Européens s'y retrouvaient pour faire commerce du précieux poivre. Les Hollandais qui tenaient comptoir à Batavia à quelques dizaines de kilomètres, prirent ombrage de ce succès . Intolérable, décréta Cornelis Speelman le gouverneur qui prit Bantam en 1682 et se dépêcha de signer un accord d'exclusivité avec le sultan. L'épice qui venait de la province de Lampong rejoignait Bantam par le détroit de la Sonde.

Aujourd'hui, son commerce passe par le port de Bandar Lampung, au sud de Sumatra. Pour visiter les plantations, il faut mettre cap au nord en direction de Kotabumi où se retrouvent les collecteurs. Le poivre de Lampong demeure l'un des plus singuliers et des plus extraordinaires de la planète. De couleur brun foncé, il dégage des arômes complexes qui évoquent le cuir, le bois et la girofle. Il explose littéralement en bouche en délivrant puissance et parfums sur un fond acide qui vient réveiller l'ensemble. 

 

Voilà, c'est ainsi que se termine l'aventure du poivre…

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M
"Elle s'attarde dans la bouche laissant une sensation de plénitude."<br /> C'est très beau et c"'est sur cette magnifique évocation que je t'embrasse et te remercie de nous avoir partagé tout ça.<br /> <br /> Pour Irène, tu as de beaux poivres chez Roellinger:<br /> https://www.epices-roellinger.com/fr/taxons/tous-les-poivres
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V
J'ai été heureuse d'avoir miraculeusement retrouvé ces textes, qui m'ont replongée dans de merveilleux souvenirs
A
Très dépaysant, ces articles!! ET ces qualités de poivre sont d'une variété incroyable. Sans compter la façon dont on s'en occupe, la terr, ec..........La nature est d'une invention unique. Merci Martine.
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V
Oui, incroyable variété de provenances! J'ai découvert que le Brésil s'était depuis bien placé pour les exportations, mais j'ignore la qualité de ses poivres. Il nous manquait aussi le fameux poivre de Penja du Cameroun.
I
Je t’assure qu’après toutes ces lectures, je vais me pencher sérieusement sur le poivre ! Je vais voir où trouver les différentes qualités de poivre dont Michel parle si bien. <br /> Merci.
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V
Irène, <br /> Avec la mode du poivre, les provenances sont bien identifiées maintenant. Il y avait jusqu'à récemment, Gérard Vives qui faisait une excellente sélection mais il ne fait plus que du conseil (il avait souvent fait les mêmes voyages que nous). Thiercelin qui avait une très bonne boutique à Paris ne vend plus que par correspondance. Après, il y a de nombreux autres spécialistes.